-11 Août 2021-
13h18. J’y suis. Je le fais. Moi, Muriel, moi qui ait toujours eu peur. Peur de tout, mais du manque de contrôle avant tout. J’y suis, dans ce fichu tuyau d’aluminium.
Il prend son élan, écrase le goudron. Même pas 10 secondes. Je reste rivée sur mes courbes d’encre. Ne pas regarder, ne pas réfléchir. On y est. On prend de la hauteur. Je canalise mon esprit, surtout ne pas regarder. Le décompte est lancé. 1h40 de vol plané. Mon Dieu. Je vais rentrer en France.
Un coup d’oeil derrière: lui lit, l’autre, lance un film sur son smartphone. Décidément, on n’est pas pareil.
Dans moins de deux petites heures, j’y serai. Maman m’attend. Ma place est auprès d’elle. Je peux le faire. Et surtout je dois le faire! 1h40, ce n’est rien sans respirer. J’y penserai une fois au sol. Je serai fière. Tellement fière.
Pourtant ce fut dur. Chaque étape. La nuit d’abord. Une fois le clic de confirmation sur le site d’EasyJet, je ne pouvais plus reculer. Il fallait le faire. Mais l’angoisse est terrible. Moi, ago, je la connais bien cette anticipation. Avec le temps, j’ai appris à la canaliser, mais pour les grands défis comme celui-ci, elle fait son job, elle est reine.
Ce nœud au ventre est terrible. Rien ne passe. Je tente de m’encourager, de garder des pensées positives, de respirer calmement, mais rien n’y fait. Ce deuxième cerveau me montre à quel point il me manipule comme une marionnette.
Comment m’endormir? Je regarde chaque heure défiler. Toutes mes pensées reviennent à ce pu… de moment où la porte va se refermer et où je serai « coincée », loin de tout. Tous les scénarios s’enchaînent vitesse grand V avant que je n’ai le temps de relativiser, de contre argumenter. Je m’endors, le ventre encore noué, mais je m’endors. 1 heure après, réveil. Je me rendors, tant bien que mal. Et je replonge dans mes rêves perturbés.
6h40, je ne me rendormirai pas. Christophe dort encore, placide. Loin de mon agitation. Décidément, on n’est pas pareil.
L’attente commence.
Mon vol n’est qu’à 13h15. Heure après heure, minute après minute, cette même pensée qui revient en boucle…
Je serai enfermée, dans le ciel, pendant 1h40.
Mes petits deviennent de plus en plus silencieux. Ils commencent à réaliser que dans quelques heures, il nous faudra nous séparer.
10h, nous partons du camping, direction l’aéroport de Porto. Le stress de l’avion est désormais au summum.
Sans une parole, nous nous engouffrons dans ce labyrinthe, jonché de boutique de luxe. Nous nous posons boire un café. J’essaie d’avaler une bouchée d’un croissant, mais ça ne passe pas. Une gorgée de jus d’orange prend place dans le gosier : je ne saurai dire si j’ai bien fait ou non.
J’en suis à un point où j’ai hâte d’y être pour en finir.
-11h30-
Il est temps d’y aller. En fin de hall, je regarde tour à tour mes trois petits. La seule chose qui intéresse Jona est de tirer ma valise à roulettes. Lissandre, quant à lui, me répète que ça va aller. Léna, elle, reste silencieuse mais me tient fort la main. Je les embrasse tour à tour, les prends dans mes bras. C’est la première fois que je me sépare d’eux. Que c’est dur de les quitter. Notre contrat avec Orbitur s’arrêtant le 2 Octobre, cela fera presque deux mois sans les toucher ou les embrasser. Je le fais une dernière fois.
Je m’étais promis de ne pas pleurer pour ne pas les rendre tristes, mais c’est impossible. Les larmes coulent à flot, de gros sanglots qui m’en font presque oublier ce qui m’attend. Je m’éloigne, tout est flou, mais j’avance.
Finalement, au bout de cinq minutes d’attente avant le Poste d’Inspection Filtrage, les larmes me libèrent d’un poids. Mécaniquement, je suis le mouvement, en bon soldat.
Un dernier regard, je les cherche avant de m’engouffrer au loin.
Je me reprends en main.
Je lève les yeux vers le tableau noir. Nantes, Nantes. 13h15, quelle porte? La 19!
Ok, je fonce. Après une hésitation, je récupère la bonne file.
Il est désormais 12h35.
Christophe m’envoie une photo. Personne ne pleure, cela me rassure, et me donne un peu plus de force.
Nous montons à bord, enfin. J’ai choisi (et payé) une place tout devant, pour ne rien voir de ce qui se passe derrière. Il manquerait plus que je vois quelqu’un paniquer pour que je renchérisse.
Avant de visser mon casque sur les oreilles, un bref scan des gens qui montent à bord. Ca rigole, ça discute de la dernière fois où ils ont vu les stewarts du jour. Décidément, on n’est pas pareil.
Mais j’y suis! 1h35 que j’écris, rêvasse, respire.
Les minutes passent. Elles passent, bordel!!!! Et j’ai envie de pleurer. Je l’ai fait. Nous allons atterrir dans quelques minutes maintenant. Dans une demi-heure, je serrerai Maman. Je lui dirai que je suis là, maintenant. Que je vais veiller sur elle. Et que c’est mon tour de prendre soin d’elle. Comme elle l’a fait maintes et maintes fois lorsque je ne parvenais même pas à sortir de ma chambre.
La descente est rude, mais j’aperçois les maisons désormais. J’ai même réussi à regarder un peu au hublot quelques secondes. J’apprivoise doucement l’engin.
Ca y est, je pleure. Doucement cette fois. Je sens la liberté se rapprocher, je la touche des doigts. Cet air nouveau dans mes poumons, et cette putain de fierté de l’avoir fait, seule.
On touche, c’est bon. Vite, vite, je me dépêche de tout ramasser. Je suis libre!
Alors, team warrior ou pas team warrior?
Est-ce que, finalement, je ne commencerai pas à être un peu pareille?